La recherche sans animaux, une vraie nécessité

La recherche sans animaux est-elle possible ?

Depuis 2013, l’Union européenne interdit l’utilisation d’animaux d’expérience pour les tests de produits cosmétiques. Les cosmétiques sont les savons, shampooings, déodorants, dentifrices, produits de beauté, etc. L’interdiction s’applique à tous les niveaux : aucune expérimentation animale ne peut avoir lieu, que ce soit lors du développement d’un produit ou lors des tests de sécurité. L’interdiction porte sur tous les ingrédients et est valable dans le monde entier, ce qui signifie qu’aucun produit testé sur des animaux ne peut être vendu au sein de l’Union européenne. Jusqu’en 2013, des dizaines de milliers d’expérimentations animales étaient réalisées chaque année en Europe à des fins cosmétiques.

Bien que cette interdiction comporte encore quelques lacunes - des substances qui n’ont pas été spécifiquement développées à cet effet peuvent encore se retrouver dans des produits cosmétiques après avoir été testées sur des animaux - elle a un impact majeur sur l’utilisation de l’expérimentation animale. Elle prouve également qu’il est possible pour un secteur de travailler sans avoir recours à l’expérimentation animale et d’atteindre un même niveau de sécurité.  Il n’empêche que remplacer l’expérimentation animale est une tâche ardue. Les défis sont de nature technologique, mais aussi psychologique et pédagogique. Les chercheurs qui, pendant des années, ont été formés et ont travaillé avec des animaux d’expérience ne sont pas prêts à changer facilement leurs méthodes. De plus, lors de la formation, l’attention accordée aux méthodes d’expérimentation non animale est encore limitée, de sorte que les jeunes générations sont formées avec l’idée que l’expérimentation animale est nécessaire et le restera. La reconnaissance internationale d’une méthode d’expérimentation non animale en tant qu’alternative (c’est-à-dire sa validation et sa mise en œuvre) est également très lente, ce qui signifie que l’expérimentation animale reste très répandue. D’autres solutions au douloureux test oculaire de Draize (voir ci-dessous), par exemple, ont déjà été développées dans les années 80, mais n’ont été acceptées que récemment dans la réglementation.

Quelles sont les méthodes non animales ?

L’éventail des méthodes d’essai non animales ne cesse de s’élargir. Voici quelques exemples de méthodes qui ont déjà fait leurs preuves ou qui sont très prometteuses.

Cultures cellulaires pour l’irritation sévère des yeux et de la peau

Le test de Draize était autrefois utilisé pour tester l’irritation de la peau et des yeux. Il s’agissait d’appliquer un produit sur la peau ou dans l’œil d’un lapin (généralement) et d’attendre une éventuelle irritation ou douleur. Aujourd’hui, des cellules de peau humaine peuvent être utilisées et le test cutané de Draize est interdit. Pour tester l’irritation oculaire grave, on utilise également une culture cellulaire, à savoir celle d’une cornée humaine.

Simulation informatique

Les modèles informatiques (également appelés in silico) peuvent être utilisés comme méthodes non animales de diverses manières.  Sur la base de la structure et des propriétés d’une substance donnée, il est possible de prédire si elle est toxique avant même qu’elle ne soit fabriquée.  Cela permet de gagner énormément de temps par rapport à l’expérimentation animale. Il existe également des modèles qui prédisent la manière dont les médicaments interagissent avec notre corps et avec les virus ou les bactéries. Un autre exemple est la simulation du fonctionnement du cerveau, qui est utilisée en recherche neurologique.

Mannequins

Il s’agit notamment de poupées de simulation qui semblent respirer, présentent des palpitations, contiennent une reproduction du système circulatoire, etc. Elles sont utilisées dans la formation clinique. De tels substituts synthétiques existent également pour des animaux et des organes spécifiques.

Organoïdes et body-on-a-chip (corps sur puce)

Il s’agit des méthodes non animales les plus récentes et les plus prometteuses. Les organoïdes sont des structures cellulaires tridimensionnelles et sont en fait des organes miniatures, imitant l’anatomie à l’échelle microscopique. Le « corps sur puce » s’apparente à un corps jusqu’à un certain niveau. Il s’agit d’un très petit appareil intégrant différents types de cellules capables d’interagir les unes avec les autres. Cela imite ainsi les interactions dans un corps.

La recherche non invasive chez l’être humain

Aujourd’hui, il est possible d’étudier des cerveaux humains sans avoir recours à des procédures invasives. Parmi les exemples de techniques, citons l’imagerie par résonnance magnétique (IRM), l’imagerie cérébrale fonctionnelle par ultrasons (fUS) et l’électroencéphalographie (EEG). Ces méthodes permettent littéralement de visualiser l’activité du cerveau. Il s’agit d’une technologie non animale importante pour la recherche neurologique.

Exemples concrets

Thomas Hartung (Université John Hopkins) est un célèbre toxicologue qui plaide en faveur de méthodes non animales en tant qu’amélioration scientifique par rapport à l’expérimentation animale. Une importante étude menée par son équipe a permis de créer une base de données contenant environ 10 000 produits chimiques et 800 000 expérimentations animales. Le logiciel compare une nouvelle substance chimique avec des produits chimiques étroitement apparentés de la base de données, puis évalue la probabilité d’effets toxiques. En combinant les similitudes chimiques entre les substances (et donc les effets biologiques similaires) avec l’intelligence artificielle dans laquelle le logiciel apprend, on a obtenu une méthode qui peut prédire aussi bien, voire mieux, d’importants types de toxicité, notamment l’irritation des yeux. Dans ce cas, des données historiques issues de l’expérimentation animale sont encore utilisées, mais cela rend superflues de nombreuses nouvelles expériences.

Un exemple dans notre pays est le groupe d’étude « Ontwikkelings- en Stamcelbiologie » (Biologie du développement et des cellules souches) de la Vrije Universiteit Brussel. Par le passé, les expériences sur les souris étaient la norme en biologie du développement et il n’y avait guère d’alternatives. Aujourd’hui, cependant, de telles alternatives existent, comme les cellules souches embryonnaires. Le groupe d’étude de la Vrije Universiteit Brussel s’est donc tourné vers l’utilisation de ces cellules souches, car les recherches menées avec elles produisent des résultats scientifiques plus pertinents que l’expérimentation animale.

La biologiste médicale néerlandaise Else Tolner mène des recherches sur le cerveau, un type de recherche où remplacer l’expérimentation animale constitue le plus grand défi pour les scientifiques. Pourtant, une grande partie de ses recherches se fait sans animaux, mais pas complètement. En 2021, elle a lancé le projet Brain@home, auquel participent des groupes de patients souffrant d’épilepsie ou de migraine. Dans le cadre de ce projet, des électroencéphalogrammes et des études comportementales sont réalisés, tandis que des mesures sont effectuées chez les patients eux-mêmes et à leur domicile. Il s’agit de mesurer quotidiennement l’activité cérébrale du patient pendant une demi-heure afin de surveiller les changements qui se produisent. En outre, le groupe d’Else Tolner utilise également un « cerveau sur puce » pour étudier le mode d’action d’un médicament.

Des chercheurs de l’Université hébraïque de Jérusalem ont fait un pas de plus. Ils ont mis au point un médicament contre le cancer en utilisant un corps-sur-puce qui imite le corps humain grâce à des tissus et des capteurs. Et sans expérimentation animale. L’équipe israélienne serait la première à créer un nouveau traitement contre le cancer sans expérimentation animale. La rapidité du développement, grâce à l’élimination de l’expérimentation animale, est également remarquable : le traitement a été mis au point en huit mois. Le coût de la recherche serait également beaucoup plus faible, selon les chercheurs.

Un futur sans expérimentation animale est-il possible ?

Des méthodes non animales existent, se révèlent utiles et fournissent des informations pertinentes pour la santé humaine. Cependant, prétendre que la technologie actuelle a tout résolu serait aussi faux que de prétendre que les animaux sont la garantie du progrès médical. L’inconvénient scientifique des animaux d’expérience est qu’ils ne sont pas humains, mais l’avantage est qu’ils fournissent des systèmes biologiques complets. Les cultures cellulaires et les modèles informatiques ont chacun leurs propres limites. Un « corps sur puce » se rapproche déjà d’un système complet, mais il s’agit encore d’une approximation. L’innovation en matière d’expérimentation non animale reste donc indispensable. On s’attend à ce qu’il y ait de plus en plus de combinaisons de méthodes d’essai non animales, intégrant différents résultats pour former une image plus complète. De nouvelles méthodes sont mises au point, qui non seulement rendent l’utilisation d’animaux inutile, mais peuvent également permettre des progrès médicaux plus rapides. L’innovation en matière d’expérimentation non animale est donc un bien nécessaire.

Pour préparer un futur sans expérimentation animale, le programme Transitie Dierproefvrije Innovatie (TPI) a été mis en place aux Pays-Bas. Les Pays-Bas expriment ainsi leur ambition d’être précurseurs dans la suppression progressive de l’expérimentation animale. Le projet est fondé sur l’observation que la recherche avec des animaux d’expérience ne permet pas de prédire avec précision le processus pathologique chez l’être humain. C’est pourquoi le TPI invite les gouvernements, les universités, les organisations et les entreprises à apporter leur expertise pour un avenir sans expérimentation animale. Les années à venir montreront si le recours à l’expérimentation animale diminuera effectivement. Quoi qu’il en soit, les Pays-Bas réclament un avenir sans animaux de laboratoire, de concert avec d’autres pays, en particulier la Belgique.

1 https://we.vub.ac.be/~cege/leyns.html

2 https://www.transitieproefdiervrijeinnovatie.nl/interviews/else-tolner

3 https://fr.timesofisrael.com/des-israeliens-creent-un-medicament-contre-le-cancer-sans-tests-sur-les-animaux/ et https://stm.sciencemag.org/content/13/582/eabd6299